Les fruits d’Ensemble pour l’Europe – par Gérard Testard
Chers amis,
Merci, chers amis et chers membres des communautés d’être venus, en plein mois de mai, merci aux personnes de tous horizons, merci aux éminentes personnalités civiles et religieuses de votre présence et de votre soutien.
Ensemble pour l’Europe est une communion de personnes, de mouvements et communautés nouvelles en Europe. Cette journée atteste son existence aujourd’hui en France. L’initiative s’inscrit dans une aventure plus large au niveau européen née de l’appel du Pape Jean Paul II à la Pentecôte 1998. Le Saint Père avait lancé une invitation aux mouvements réunis Place St Pierre, d’entretenir des rapports d’amitié parce que l’Eglise attend « des fruits mûrs de communion et d’engagement ». Dix ans se sont écoulés et des réponses ont été données par les mouvements et leurs responsables. Chiara Lubich, fondatrice du mouvement des Focolari d’abord : « l’unité est notre charisme spécifique, nous nous engagerons de toute nos forces à contribuer à la réaliser ». Andrea Riccardi, fondateur de la communauté Sant’ Egidio répondra tout aussi promptement. D’autres suivront et notamment après la signature à Augsbourg de la déclaration sur la doctrine de la justification entre l’Eglise Catholique et la Fédération Luthérienne Mondiale. Des responsables protestants allemands s’engageront. Aussi, dès le départ, Ensemble pour l’Europe a eu un fondement œcuménique. Car les trois traditions, orthodoxes, protestantes et catholiques, par leur travail de réconciliation contribuent à l’unité de l’Europe. Ensemble pour l’Europe s’enracine dans la parole de Dieu en particulier le verset 34 de St Jean au chapitre 13 « Aimez-vous les uns les autres; comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres». La communion repose aussi sur la rencontre des responsables de mouvements, des mouvements eux mêmes, qui se laissent guider par le pacte d’amour réciproque. Dans un monde avec une conception parfois individualiste de la vie, où l’homme tend essentiellement à son intérêt propre, ou celui du groupe auquel il appartient, ce n’est pas la moindre des audaces.
Reposant sur la parole de Dieu, sur l’amitié et bien entendu l’œcuménisme, la communion des mouvements ne se veut pas ordonnée à elle même. Elle a un but : l’Europe, la vie des peuples en Europe. Au fond c’est une idée simple, simple et puissante comme l’a été le départ de l’Europe fondée sur deux piliers : le pardon avec au cœur la réconciliation franco-allemande, et le partage avec la mise en commun du charbon et de l’acier, réalisant la prophétie d’Isaïe : « ils briseront leurs épées pour en faire des socs de charrue et leurs lances pour en faire des serpes. On ne lèvera plus l’épée nation contre nation » (Isaïe 2 ,4). Les pères de l’Europe, Robert Shumann, Alcide de Gasperi, Konrad Adenauer, Jean Monnet, manifestèrent cette volonté d’unir les hommes et de leur permettre de vivre dans la paix. Ils ont privilégié le respect mutuel et la confiance, ont donné une vision commune et insisté sur ce qui rapproche les hommes pour faire échec aux nationalismes et aux totalitarismes.
Et la paix, quel cadeau ! Mais ne nous laissons par surprendre par une forme d’habitude à la paix. Les acquis sont immenses et pourtant la conscience européenne et l’apport décisif de l’Europe pour la paix reste bien faible et l’élan parfois émoussé. Construire l’Europe est un processus, une maturation, un esprit de coopération et de partage. Il faut être mûs par une grande force pour travailler à son avancée. Cependant, chaque fois qu’elle fait un pas en avant, elle grandit l’homme, par les conséquences innombrables en termes de partage, de paix, de relation à la différence, de liberté, d’ouverture. Alors aujourd’hui des chrétiens se mobilisent pour réveiller la conscience européenne. Voilà un premier fruit d’Ensemble pour l’Europe.
La force de notre aventure, fragile en même temps, c’est de parler des béatitudes, de la joie de vivre l’évangile et dire notre conviction qu’une Europe de l’Esprit est possible. La grandeur des fondateurs de l’Europe n’a-t-elle pas été aussi de bâtir sur le possible, avec des bases simples, avec une maturation lente ?
La pire des choses serait la paresse, le manque de foi ou de courage. Comme chrétiens nous voulons mettre notre foi au service du réveil des consciences pour plus d’Europe. Certes, l’Union Européenne n’est pas toute l’Europe et tout ce que nous attendons de l’Europe, mais les acquis sont importants. L’Europe est un avenir, notre avenir. Cet avenir ne sera pas assuré en regardant en arrière ou en se braquant sur les racines chrétiennes de l’Europe mais par le fait que ces racines soient vivantes aujourd’hui pour nourrir notre société, la civilisation et les peuples à la manière de la sève qui nourrit l’arbre.
Les deux rencontres de Stuttgart 2004 et 2007 ont été des moments forts d’affirmation de notre foi et nous avons dit oui à la vie, oui au couple et la famille, oui à la création, oui à une économie de service des besoins de l’individu et de toute l’humanité, oui à la solidarité avec les pauvres, oui à la paix et à la responsabilité envers toute la société. Cette rencontre 2009 s’inscrit dans ces oui que nous tentons de vivre chaque jour.
Un grand européen, présent parmi nous et qui va recevoir le prix Charlemagne dans quelques jours à Aix La Chapelle, Andrea Riccardi, disait en 2007 à Stuttgart : « Plus nos communautés seront des sœurs, plus les peuples européens seront des frères. L’unité entre chrétiens doit devenir la mère de la collaboration quotidienne qui fait de nous des frères, et de la prière commune qui nous rassemble. C’est le ciment d’une Europe unie ».
Chers amis, nous avons entendu ces paroles et depuis un an nous nous sommes réunis dans près de 40 villes de France par trois fois pour arriver ici à la Mutualité. Ce furent des réunions de prière pour mettre en pratique la parole de Jésus « quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » et rendre Jésus Christ présent pour nous aider à être des hommes et femmes de foi et d’espérance, capables d’affronter les difficultés avec confiance. Ce furent aussi des réunions de connaissance mutuelle, de reconnaissance, celle qui met l’autre en valeur, qui reconnait le charisme. L’une des expressions de l’amour réciproque est de mettre en évidence les charismes des mouvements qui sont l’incarnation des dons de Dieu. « Par la charité, mettez vous au service les uns des autres » (Ga 5,13) Cet amour est prêt à « porter les fardeaux les uns des autres » et à mettre de côté ses propres idées. Au nom des communautés organisatrices, je voudrais vous remercier d’avoir relevé ce défi dans un aussi grand nombre de villes. Vous en goûtez les fruits puisque des réunions sont déjà programmées pour les temps proches. Car il fait bon vivre en personnes réconciliées, capables de considérer l’autre comme supérieur à soi, capable de pardonner et demander pardon aussi bien dans les rapports personnels que dans des rapports entre mouvements ou entre Eglises.
Il est bon de se rappeler que les charismes sont des réponses, comme la réponse du Seigneur, chacun pour sa part, aux attentes de notre temps. Et ces charismes ensemble ont un but : l’Europe. Notre communion est pour l’Europe. Par notre action sur le terrain et par notre unité, nous participons aussi aux débats politiques, culturels, sociaux. Elle se veut une manière de dire « Europe lève toi ! ». N’ayons pas peur, comme laïcs et mouvements laïcs, de porter ce rêve d’une Europe unie car nous avons l’expérience de l’unité. Beaucoup de mouvements ont au cœur de leur spiritualité, la spiritualité de communion. Cette vision, à la fois d’unité et d’un laïcat responsable nous donne un horizon. En Afrique, dans notre communauté Fondacio, notre slogan c’est : « des hommes debout pour une Afrique debout ». Jésus a redressé la femme courbée. C’est une parole pour nous aujourd’hui : avançons et proclamons que nourris de la parole de Dieu nous sommes autorisés à parler, à la manière des prophètes pour dire « Europe debout ! ». Seuls nous ne le pourrions peut-être pas, ensemble nous le pouvons. Cela aussi est un fruit d’Ensemble pour l’Europe.
Frère Roger de Taizé, le Pape Jean Paul II (qui ont aussi reçu le prix Charlemagne) ont porté cette vision d’une Europe unie. Ils ont été de vrais spirituels car ils ont uni la dimension mystique nourrie dans la prière et la dimension politique, inséparables, comme deux faces d’une même médaille. Ce génie en fait pour nous des modèles et des prophètes sur la route que nous empruntons.
S’il est un autre fruit dont nous devons parler c’est précisément que nos mouvements n’ont pas peur d’affronter la question du vivre ensemble, manière de parler du politique. Tony Blair disait dans un article récent : « je rêve que la religion humanise, donne du sens, des valeurs, une dimension spirituelle à une globalisation chaotique…Je rêve que les croyants travaillent ensemble pour le bien commun… je mise sur la foi, convaincu qu’elle peut servir de moteur pour le futur ». Oui travailler pour le bien commun, pour un renouveau du vivre ensemble, pour la solidarité et la justice est une affirmation que nous faisons ensemble. Dans les villes nous avons réfléchi dans trois directions : face aux injustices sociales et à la crise quels modes de vie ? Face à l’indifférence quelle place pour l’étranger, l’immigré ? Face à la violence que nous disent les Béatitudes ? Et notre conviction est encore plus forte que nos mouvements peuvent contribuer à renouveler la société. Ils sont transversaux par rapport à de nombreux enjeux et portent le même Evangile à leur manière propre mais avec la conscience d’un destin commun. Ils expérimentent la fraternité chrétienne avec la conscience que le but est la fraternité universelle et que vivre l’Evangile est porteur d’humanisme. Une culture de rencontre entre les peuples sur la base de la foi, de la prière, de la vie fraternelle, de la charité conduira inéluctablement à approfondir le sens de notre destin européen. Maintenant que la paix est établie, sans doute faut-il s’engager dans de nouveaux défis. La crise économique, et surtout la crise écologique nous obligent à penser autrement nos modes de vie individuels et collectifs
Ensemble pour l’Europe nous engage solidairement sur ces voies sans oublier les défis de pauvreté à nos portes et dans le monde. Les chrétiens approfondissent leur christianisme par la proximité aux plus pauvres. Ils veulent affirmer qu’en Europe, la fragilité a sa place ou tout au moins est prise en compte. Cela va des enfants aux vieillards en passant par les personnes avec un handicap, les prisonniers, les malades, les chômeurs ou toute autre situation d’exclusion. Nous y sommes engagés, pas seulement en terme de revendications, mais au quotidien souvent en plus du travail et de la vie de famille. Nos mouvements, pour la plupart géographiquement diversifiés, nous font toucher aux enjeux d’autres régions du monde. Je pense aux minorités chrétiennes du Proche Orient et rêve d’une initiative semblable à la notre, dans cette région. Ces minorités attendent vivement notre soutien. L’Afrique est vivante en beaucoup d’entre nous. La rendre présente ici avec ses atouts et ses énormes défis la fait exister.
La dimension œcuménique d’Ensemble pour l’Europe est un fruit qui nous donne de la joie. La présence des trois présidents des confessions chrétiennes, son Eminence le Cardinal André Vingt Trois, son Eminence le métropolite Emmanuel et le Pasteur Claude Baty témoignent de cet attachement. Le contexte religieux de l’Europe nous y pousse. L’histoire de l’Europe nous rappelle à la fois la séparation entre Orient et Occident, les guerres fratricides, les divisions consécutives à la Réforme en occident.
C’est pourquoi, travailler à l’unité de l’Europe touche directement à l’unité des Eglises. Le Cardinal Kasper, président du Conseil pour l’unité des chrétiens au Vatican, n’a jamais ménagé ses encouragements pour notre initiative. En 2007 nous avons établi un lien entre notre rassemblement de Stuttgart et la grande rencontre œcuménique de Sibiu en Roumanie. Toutes ces occasions de dialogue œcuménique contribuent à l’unité de l’Europe.
Cette année 2009, année des élections au parlement européen, auront lieu des rencontres similaires à celle-ci dans 12 pays d’Europe, de la Slovaquie à l’Irlande, en Allemagne, Italie, Hongrie etc. Elles poursuivent le même but : favoriser la communion au plus près des membres des mouvements et de leurs amis, faire connaître l’initiative aux responsables de nos Eglises, à nos contemporains. Et surtout faire grandir la conscience d’une Europe de l’Esprit, capable de renouveler l’Europe économique et politique parfois hésitante, parfois résignée, parfois avec des tentations de protectionnisme. Nos mouvements sont modestes, mais veulent agir à la manière du ferment dans la pâte. Nous ne voulons pas revenir à une Europe chrétiennes mais agir comme chrétiens en Europe. Et donner ce que nous avons (amour, compétences…) à la manière de Jean et Pierre à la Belle Porte : « de l’or et de l’argent je n’en ai pas. Ce que j’ai, je le donne au nom du Christ le nazaréen » (actes 3-6).
Le don que nous portons peut être donné et peut aider à avancer. C’est l’audace de la vie évangélique. Ainsi depuis 1999, Ensemble pour l’Europe fait son chemin et après les rassemblements nationaux en 2009, une rencontre européenne sera organisée en 2012.
Enfin d’autres continents ou sous régions prennent des initiatives. C’est le cas en Côte d’Ivoire (Ensemble pour la civilisation de l’amour), en Afrique du Sud, au Brésil ou au Chili. L’Evangile vécu porte des fruits de paix, de joie, de charité. La communion de foi et d’engagement fait naître une force nouvelle une audace pour prendre des initiatives. « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé! » (Luc 12-49). Ce feu couve sous la cendre peut-être encore. A nous de faire en sorte qu’il soit plus visible. Le monde a besoin de cette lumière au milieu des ténèbres, des errements. Le feu c’est cette passion pour le Christ, et vivre pour le Christ c’est vivre pour nos frères en humanité.
Gérard TESTARD